Drôle d’affaire révélé par un riverain de Rue 89 ce week-end et qui commence à foutre un peu le merdier avec la hiérarchie du ministère du Travail, qui ne trouve pas drôle du tout l’ampleur qu’est en train de prendre le mouvement ; une sorte d’”indignés” à la sauce fonctionnaire ; ni prévu, ni cogité, ni mis en place par un syndicat ou un parti, mais une véritable vague de besoin de liberté et d’envie d’écrire.
Tout commence à la mi-décembre dernier ; 15 000 fonctionnaires du ministère reçoivent un e-mail syndical avec, chose plutôt rare, la possibilité d’utiliser l’option “répondre à tous”. Et l’option fonctionna à merveilles ; quelques heures après la réception du message, les serveurs du ministère du Travail explosèrent sous la pression des millions de mails générés chaque heure par les réponses des destinataires du premier message, rejoint bientôt pas d’autres fonctionnaires dont les adresses étaient ajoutées au dur et à mesure des envois.
Résultat du bidule ; des discussions entre collègues sur tous les sujets possibles ; des recettes de cuisine, aux simples “bonjour, ça va ?”, aux annonces de matos à vendre ; en passant, plus pénible à lire pour la hiérarchie, aux revendications, aux débats sur des points de management et sur la politique du ministère et de son ministre. Sourire moqueur d’un représentant syndical ; pour lui, cela montre “une grande envie des agents de communiquer entre eux”. Beaucoup moins moqueuse fut la réaction des Ressources humaines qui rappela alors par mail que les fonctionnaire se doivent “de ne pas émettre d’opinions personneles étrangères à leurs activités professionnelles”.
Un événement bien moins anodin que le premier relance le forum en cette fin mars ; le suicide d’un des agents du ministère, Romain Lecoustre, qui intervient après celui de Luc Béal-Raynaldi neuf mois plus tôt. Un nouveau mail de l’inter-syndical est envoyé, avec toujours la même option “répondre à tous”. Et, pois chiche sur le couscous, les adresses mail du Ministre, Xavier Bertrand, et du directeur général, Jean-Denis Combrexelle font parti de la liste.
On assiste alors, en bien moins “léger”, à une ribambelles de réponses, toutes lues désormais par la hiérarchie la plus élevée. Morceaux choisis :
- « Il n’y a même plus de mots suffisamment forts pour qualifier le comportement du ministre et du directeur général du Travail. Au “ministère du marche ou crève”, la hiérarchie fuit ! Ni responsables, ni coupables ! »
- « Pour avoir été touchée de très prés par le suicide de Romain, c’est le silence de l’administration qui l’a épuisé jusqu’à ce qu’il en meurt. Garder le silence face à ça n’est pas à mon sens leur témoigner notre respect, loin de là. »
- « En attendant, vous cassez les pieds. De plus, vous saturez pour ne pas dire polluez les boites aux lettres. Stop à ce genre de pourriel. »
- « NON au TRAVAIL qui TUE ! NON au SILENCE ! »
- « Et oui, l’Etat nous pousse tous à bout. Suicidons-nous, son boulot n’en sera que plus vite exécuté ! C’est bien pour cela qu’ils ne vont pas, en plus, indemniser nos familles en reconnaissant ces suicides en tant qu’accidents du travail ! L’Etat a coutume de donner d’une main, reprendre de l’autre et non l’inverse, et ne va pas non plus se serrer la ceinture ! Le pays des Bisounours n’existe pas, même plus à la télé ! Les générations à venir sont à plaindre… Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut baisser les bras ! »
- « Je fais un acte de soutien en retransférant ce mail et désolée pour ceux qui se sentent pollués ! »
- « Je soutiens cette façon de communiquer. De toute façon, dans notre ministère, il n’y a plus que celui-là »
- « Je suis avec toutes les gouttes d’eau qui grondent… »
- « Bonjour à toutes et à tous. Et voici la goutte d’eau d’un contrôleur qui a l’impression de perdre pied ! Bon après-midi. PS : Il faudrait trouver un moyen de coordonner nos actions de protestation (journée nationale de fermeture des services par exemple). »
Dès le mercredi suivant, la direction a décidé de... filmer les envois collectifs. Ce qui n’a pas empêché ces envois de continuer, toujours aussi fournis, les jours suivant. Alors, elle est passé au stade suivant ; le courrier officiel envoyé à tous les agents ; l’envoi de ces e-mails y est qualifié de « faute professionnelle », « d’infractions pouvant relever du pénal ». Le DRH compte ainsi sur « le sens des responsabilités de chacun ». Vous pouvez, jolies lectrices et fiers lecteurs, lire l’intégralité du courrier en cliquant ICI.